La consommation maximale d’oxygène (VO2max) et l’indice de masse corporelle (IMC) sont largement reconnus comme facteurs majeurs de la condition physique liée à la santé. Or depuis plusieurs années, on observe une diminution avérée de VO2max chez les enfants et les adolescents. Cette diminution a été évaluée à plus de 8% en 20 ans chez une population de 130 000 enfants âgés de 6 à 19 ans (Tomkinson et coll. 2000). Ces résultats sont très probablement la conséquence d’une pratique physique insuffisante. Dans ce sens, l’augmentation des jeunes présentant un surpoids, ou déjà obèses, constatée dans la plupart des pays du monde est en constante augmentation. Ce surpoids évalué par l’augmentation de l’IMC, et a été fortement relié au temps passé devant les écrans (TV/ordinateur). Cependant, on peut s’interroger sur la capacité de l’EPS et des APS hors scolaires à pouvoir rectifier cette baisse du niveau de condition physique des jeunes d’aujourd’hui, et s’interroger également sur la conception des contenus des cours d’EPS qui laissent de moins en moins de place à une activité physique effective du jeune.
Déjà en 1986, lors de l’opération France-Eval menée par Georges Cazorla à la demande du Ministère de la Jeunesse et des Sports, les résultats obtenus lors d’un test progressif de 20 m navette de Léger et coll. (1982) chez des enfants de 7 à 11 ans ne montraient pas de relation avec le nombre d’heures d’EPS scolaire alors qu’ils étaient corrélés avec le nombre d’heures de pratique d’une APS en dehors des programmes scolaires. Autrement dit, conformément à ce qui serait logique de penser, le nombre d’heures d’EPS scolaire ne permettrait pas de développer le VO2max des enfants alors que celui d’une pratique d’APS hors programme scolaire le permettrait ! Ce résultat brut peut cependant supporter plusieurs hypothèses possibles. L’effet bénéfique peut résulter du cumul d’heures de pratiques physiques scolaires et hors scolaires. Il se peut aussi que les enfants bénéficiant « au départ » de capacités physiques et physiologiques plus élevées, soient plus enclins à pratiquer une APS en dehors de celles proposées par leur programme scolaire. Dernière hypothèse que nous ne pouvons pas écarter non plus est celle d’une insuffisance de la charge physique proposée par l’école pour développer cette importante composante de la condition physique.
Dans ce contexte, Georges Cazorla et ses collaborateurs se sont attachés à mettre en évidence la charge physiologique de onze enfants pré-pubères au cours d’une journée de classe (étude qui n’a malheureusement jamais été publiée jusqu’ici !). Ils ont d’abord obtenu la fréquence cardiaque maximale (FC max) individuelle au cours du dernier palier du test progressif de course navette de Léger et coll (cette FC max constituant la référence 100 % pour le reste de l’expérimentation). Puis, ils ont équipé chacun des enfants d’un cardiofréquencemètre qu’il devait conserver toute la journée de classe. Durant cette journée l’enfant appareillé était filmé, et chacune de ses activités était aussi enregistrée sur une grille d’observation par plusieurs observateurs. Afin de regrouper de façon homogène les résultats et pouvoir les traiter statistiquement, chacun des enregistrements était exprimé en % de la FC max individuelle (axe des abscisses) et en % de la durée maximale de l’observation (axe des ordonnées) (Figure 1).
Le résultat individuel présenté par cette figure, très proche de ceux obtenus avec les autres enfants, montre un % de FC max majoritaire situé entre 40 et 60 % ce qui correspond à la durée où l’enfant est en classe. Ensuite, on peut remarquer un recouvrement presque complet entre la FC obtenue au cours de la récréation et au cours d’une séance d’éducation physique. Enfin, seuls les jeux traditionnels proposés en dehors de la séance d’EPS et durant lesquels l’enfant ne répondant à aucune consigne laissait libre cours à son activité physique spontanée, entraînaient une FC proche ou atteignant sa FC max.
Cette figure met ainsi en exergue la charge physiologique de la totalité d’une journée de classe et particulièrement celle exercée par la simple séance d’EPS. Placés totalement sous la responsabilité pédagogique des enseignants concernés, les choix des contenus montrent une charge physiologique à peine équivalente à celle des récréations se situant entre 60 et 85 % de la FC max donc à peine suffisante pour ne développer que partiellement l’endurance aérobie mais certainement pas VO2max.
Ces résultats peuvent aussi s’expliquer par la trop grande prudence de l’enseignant à l’égard de la gestion des charges physiologiques qu’un enfant peut non seulement supporter mais dont son organisme a besoin pour développer toutes les facettes de sa motricité.
Autre explication plausible est la recherche de la qualité pédagogique quelque fois au détriment de la quantité de charges. Souvent explications et contrôles pédagogiques deviennent majoritaires dans une séance d’EPS. Autrement dit, la recherche de la compréhension de l’élève prime souvent sur son niveau d’action.
Enfin, la qualité et plus encore le nombre des équipements peuvent aussi constituer des limites ou des freins à la quantité d’activité physique trop souvent insuffisante.
Seule l’activité spontanée et celle développée au cours de sports collectifs de salle (handball en l’occurrence) présentent un impact optimal pour développer cette dernière mais seulement durant environ 4 % de la durée totale observée (soit environ 19 min). A la condition que ces 19 min soient quotidiennes, elles pourraient s’avérer suffisantes pour exercer un effet de développement de la capacité aérobie. Ce n’est malheureusement pas le cas de la majorité des enfants scolarisés en France (enquête France-Eval; Cazorla, 1986).
Cette insuffisance quantitative devient d’autant plus criante lorsque seul le temps réel d’activité physique scolaire est pris en compte. La simple statistique suivante permet d’en mesurer l’importance. En prenant comme référence 100 % les 8736 heures que représente le nombre d’heures dans une année civile (365 x 24), et en soustrayant le nombre de jours de grandes, de moyennes vacances, de week-ends et de jours fériés dans une année, il ne reste qu’un total de 6048 heures, soit 69.2 % de notre référence initiale. En retenant la moyenne hebdomadaire des programmes scolaires qui est de 26 heures, ce pourcentage tombe à 936 heures soit 10.7 % de présence du jeune à l’école, au collège ou au lycée !. Poursuivons notre démonstration, si la moyenne horaire hebdomadaire dévolue à l’EPS se situe à 3 heures, l’élève bénéficie d’un total de 108 heures par année, ce qui ne représente que 1.3 % de notre référence. Enfin, lorsque le temps réel où l’élève reste actif au cours d’une séance d’EPS est retenu, soit 12 min 14 ± 8 min pour les garçons et 10 min 23 ± 7 min pour les filles (données non publiées), avec une moyenne d’environ 11 min pour les deux sexes, le pourcentage de l’activité physique institutionnalisée tombe à 0.22 % de notre référence initiale ! Impossible avec si peu de temps d’implication physique de développer correctement les capacités motrices du jeune.
Applications pratiques
L’ensemble de ces résultats confirme que la quantité d’activité physique offerte par l’école est insuffisante pour développer la capacité aérobie, composante majeure de la condition physique liée à la santé. Il est donc non seulement indispensable d’envisager un complément, au moins quantitatif, en dehors des programmes scolaires mais aussi d’envisager toutes les gammes possibles des intensités et des durées d’exercice ajustées aux capacités de l’enfant pour développer de façon optimale toutes les composantes de sa condition physique et ce, aussi bien au cours des programmes scolaires que d’activités physiques hors scolaires.
Comme toutes les expériences tentées dans ces domaines ont montré que l’élève apprend mieux lorsque ses créneaux d’activité physique sont augmentés, pourquoi ne pas envisager aussi d’augmenter le nombre et la durée des créneaux de récréation ?
Ainsi, même en se limitant au développement de sa santé, augmenter la quantité de pratique des activités physiques et du sport de l’enfant à l’école et en dehors de l’école devient donc une obligation éducative.