Quel exercice d’entraînement est plus célèbre que le toro ?
Laureano Ruiz, l’homme qui inspira Cruyff
Modeste footballeur du Racing Santander au début des années 60, Laureano Ruiz décide à 28 ans de raccrocher les crampons, par choix. Après une brève expérience d’entraîneur sur le banc de son ancien club, Ruiz prend les commandes des U19 de Barcelone. Très vite, il constate les énormes lacunes présentes au club sur le plan organisationnel. Et le bilan est dur : le Barça ne possède aucune identité de jeu. Exit alors les séances d’athlétisation interminable, place à des cours de théorie. Ruiz veut que les joueurs intellectualisent le football et passent maître dans l’art de la stratégie.
Aux entraînements désormais, on travaille essentiellement la position et le placement. Les joueurs doivent savoir jouer sans ballon et trouver à une place optimale dans n’importe quelle phase de jeu. Il a apporté dans ses bagages un exercice baptisé rondos, plus tard renommée toro en France. Le but est simple : huit joueurs, disposés en cercle, doivent réaliser un nombre défini de passes dans un périmètre réduit et en une touche de balle. Deux joueurs au centre du cercle doivent stopper cette série. Lob, une-deux ou sombrero, les possibilités de transmission semblent infinies et forcent le joueur à anticiper chaque mouvement.
Ce modèle s’étend rapidement à toutes les catégories de jeunes du Barça. On estime aujourd’hui qu’un élève de la Masia a consacré plus de 1000 heures à cet exercice à la fin de son cursus. Le toro ne passe cependant pas les portes de l’équipe première avant 1988 et le retour du fils prodigue Johan Cruyff en terre catalane. Le Hollandais Volant va alors calquer l’ADN de Barcelone directement sur les séances de rondos. Le tiki-taka est né. Caractérisé par le mouvement continu du ballon autour d’une série de passes rapides, cette façon de jouer conduira les Blaugranas sur le toit du monde. Vainqueur de quatre Liga de rang entre 1991 et 1994 et surtout d’une première Ligue des Champions en 1992, le Barça made in Cruyff reste aujourd’hui légendaire.
Chef d’orchestre de la Dream
Team à cette époque, Pep Guardiola a attrapé le virus du toro
à Barcelone et ne s’en est jamais remis. Au Barça, à Munich ou à Manchester,
« Pep » consacre un temps important de ses séances d’entrainement à
cet exercice. Et il aurait tort de s’en priver. Footballistiquement pertinent,
le toro simule les conditions réelles d’un match. Dans les rondos,
l’entraîneur ne regarde que très peu les passes courtes, dont le but unique est
d’attirer l’adversaire à soi. Le coach attend la passe tranchante qui laisse le
défenseur sur le carreau. La transmission dorée qui amène des buts, celle avec
qui l’on remporte des matchs.
Le Barcelone de Guardiola jouait chaque week-end au toro. Les Blaugranas faisaient circuler le ballon rapidement, et de manière relativement courte, en attendant de pouvoir briser les lignes défensives et frapper aux buts. Déconcertante de simplicité, cette philosophie de jeu héritée des années 1990 conduit pourtant le Barça à un sextuplé inédit en 2009. L’un des meilleurs élèves aux rondos se nommait Xavi Hernández. Mieux, l’ex-international espagnol a perfectionné son arsenal technique grâce à cet exercice. La masterclass de Xavi, passe enroulée au-dessus de la défense à destination d’un partenaire offensif, a très souvent trouvé le pied gauche de Lionel Messi.
« L’objectif
n’est pas de faire bouger le ballon, mais de faire bouger l’équipe
adverse. »
Outre l’aspect technique et
tactique, l’exercice de Ruiz permet aussi aux footballeurs de travailler
l’endurance. En proposant des séances régulières d’efforts intensifs, le
physique du joueur est constamment mis à profit. Le corps est alors soumis à un
niveau proche de celui de la compétition. Pep voit en cette discipline ce qui
manquait cruellement au Barça des années 1970, une rigueur certaine qui permet
aux joueurs d’être autant exigeant sur la forme physique que sur le QI
footballistique. Le toro est une allégorie du football idéal prôné par
Guardiola.
Instigateur d’un football pluriel
De toute évidence, le toro ne se limite pas à l’interprétation de
Guardiola. Jürgen Klopp en a fait un incontournable des terrains de Bundesliga.
Adepte des récupérations hautes et rapides, le coach des Reds a repris cet exercice pour développer les réflexes de ses hommes.
Transmise comme un héritage, la jeune génération d’entraîneur de Bundesliga
contribue à faire vivre cette pratique. Par exemple Julian Nagelsmann, l’actuel manager du RB Leipzig, a imaginé une variante des rondos où les joueurs doivent marquer après avoir effectué un nombre de passes
donné. De l’entraînement au match, il n’y a alors qu’un pas.
Admiré et imité, il est pratiqué du plus haut niveau jusqu’au
football amateur. Beaucoup moins techniques que leurs camarades professionnels,
les footballeurs de divisions inférieures choisissent souvent de travailler une
seule combinaison, mais de manière intensive. Le toro devient donc un exercice
de mouvement et les attaquants doivent progresser vers la surface adverse. Les “taureaux” jouent alors le rôle de défenseurs tandis que les offensifs exploitent
la balle selon un schéma donné. L’objectif est de créer des automatismes et une
cohésion dans une équipe. Véritable couteau-suisse de l’entraînement, le toro
est malléable à souhait.
Ironiquement, le toro est à un outil de travail mais également un moyen de se détendre. Quelle équipe de football n’a jamais improvisé un cercle autour d’un joueur avant de le rendre fou avec le ballon ? Avec le temps s’est développé un sentiment, très mesuré, d’humiliation à se tenir au centre du cercle. Et les joueurs cherchent souvent le geste technique qui fera mouche. Le toro a quelque chose de spécial. Amusement, entraînement, victoires et même trophées, il a transcendé le concept de simple exercice. Omniprésent, il est empreint de tout ce que le football moderne peut offrir.